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La sorcière : entre femme opprimée et féministe moderne

Du personnage effrayant des contes à la figure de la femme puissante, la sorcière est un personnage qui créé autant la peur que la fascination. Si elle est présentée dans la culture comme un personnage de fiction, une réalité bien plus âpre se cache derrière.
Le symbole de la sorcière (Crédit photo : Pexels.com / Thirdman)
Comme il en est communément pensé, ce n’est pas au Moyen-Âge que la chasse à la sorcière a eu lieu. Cet épisode honteux de l'histoire s'est en effet déroulé plus récemment à la Renaissance. Le premier procès était le fameux procès de Salem, en 1692 et 1693. Plus étonnant encore, il n’est pas question de quelques cas marginaux, mais d’environ 200 000 procès, dont entre 50 et 100 000 femmes brûlées vives. En plus de craindre la mort, les "sorcières" étaient confrontées aux tortures et violences de toutes sortes. Alors qu'elles étaient toujours décidées par des magistrats hommes, ces immolations leur octroyaient la possibilité de s'accaparer leurs propriétés, ce qui ne fait que conforter le caractère purement arbitraire et non-fondé de telles accusations. Ainsi la chasse à la sorcière n'est-elle que le reflet d’une société empiriquement patriarcale et d’une misogynie moderne. Mais c’est surtout l’instrument parfait pour opprimer les femmes.
Mais alors, qui étaient et qui sont ces femmes ? Ce ne sont pas des vieilles femmes isolées et effrayantes. Bien au contraire, une sorcière n'est autre que n’importe quelle femme : une inconformiste, une femme qui ne remplit pas le rôle de la femme au foyer, ou encore une femme âgée, considérée comme “inutile” à la société. Elle donne son avis trop fort, vit différemment. Elle est encore maîtresse de son corps et de sa sexualité : en somme, elle dérange. Ces accusations calomnieuses prirent aussi pour cible les sages-femmes, accusées de contrôler la fertilité en aidant à l’avortement. Plus absurde encore était l'idée véhiculée selon laquelle elles avaient conclu un pacte avec le diable ; l’indépendance de ces dernières suffisait au désir vindicatif de s’en débarrasser ou de les marginaliser. A cet égard, la chercheuse de l’université de Cambridge Susan Drucker-Brown pointait justement que la peur des sorcières évoluait proportionnellement avec l’évolution de l’indépendance des femmes. Notons d’ailleurs que, parmi les accusations les plus récentes, nous trouvons des femmes puissantes telles qu’Hillary Clinton ou Margaret Thatcher. Un tel blâme est et était une réelle arme de terreur, décourageant l’émancipation des femmes : les décrédibiliser est un outil puissant, pourvu qu’elles ne prennent pas trop de place.
Zoom : les sorcières modernes Aucun continent n'est en reste en matière d'accusations de sorcellerie moderne. Leur destin y est tragique en Afrique comme au Nigeria, en République centrafricaine, ...Ces femmes sont parquées dans des camps, les plus anciens remontant aux années 1900. Elles subissent encore aujourd’hui des tortures et violences de toutes sortes, et sont menacées de mort. Le Ghana est l’endroit où ce phénomène est le plus criant : 350 y étaient parquées en 2019 dans quatre camps. Toutefois, relevons un point positif : leur nombre n’a fait que décroître, puisqu’on en dénombrait 1000 il y a dix ans. Et en cause, un triste événement qui marqua un tournant : celui de la condamnation en 2010 d’Ama Hemma, 72 ans, brûlée vive pour la libérer de sa “magie noire”. Cet effroyable épisode aura au moins eu le mérite de générer une large prise de conscience dans tout le pays incitant le gouvernement à s’engager dans la fermeture de ces camps. D'autre part, celui-ci a été amené à prendre des dispositions législatives interdisant toute accusation de sorcellerie. Mais le bénéfice de ces fermetures n’est pas si évident : si symboliquement il s'agit incontestablement d'un progrès, les camps restent néanmoins un refuge pour certaines qui ont subi des violences de la part de leurs communautés. En tout état de cause, la vie y est rude, les moyens y sont rudimentaires : et les femmes doivent vivre sans électricité et sans eau courante, au milieu de nulle part, laissées à leur sort tragique. L'on déplore ainsi un réel imbroglio : l’évolution, progressiste, de la législation d’un côté ; et la sécurité de certaines femmes de l’autre. Quoi qu'il en soit, il apparaît indispensable que les mentalités évoluent et que le modèle patriarcal qui dessine les contours de la société soit abandonné.
En bref, cette situation est la traduction d’une société qui pâtit de la crise, souffrant de la pauvreté, des maladies et de multitudes autres maux. Un constat simple en témoigne : plus la pauvreté s’impose, plus l’on déplore de telles accusations.
La sorcière, féministe moderne Mona Chollet, auteure du livre “La puissance invaincue des femmes”, retrace l’histoire des sorcières et les enjeux sociétaux corrélés. Aujourd’hui, en Occident, les femmes ont opéré une réelle réappropriation du statut de la sorcière : correspondant désormais à la femme désireuse de se reconnecter avec elle-même, avec son corps et avec la nature. Les luttes en faveur de la contraception ou de l’avortement en sont d'ailleurs de parfaites illustrations.
Cette évolution de la sorcière est d’ailleurs particulièrement visible dans la culture populaire, qui a ondoyé au rythme de l’évolution de la place de la femme dans la société. En 1937, la sorcière, méchante belle-mère de Blanche-neige, a terrorisé bon nombre de générations. Tandis qu’aujourd’hui, la sorcière est la femme puissante qui génère davantage de rêves que de cauchemars. Parmi elles, Sabrina l'apprentie sorcière, Hermione Granger,...
Comme si cela allait de pair, l'émergence de la sorcière moderne a eu pour conséquence une nouvelle vague de chasse à la sorcière dans les années 1970 aux Etats-Unis : les “Women's International Terrorist Conspiracy from Hell” (WITCH, sorcière en anglais). Ce groupe aura amorcé l'apparition de plusieurs autres par la suite. Parmi leurs membres, nous retrouvons, sans grande stupeur, les conservateurs qui s'opposent aux lois relatives à l’avortement ou aux contraceptions. En 2018, les nouveaux groupes de sorcières dont fait partie la chanteuse Lana Del Rey, se sont amusés d'eux en jetant un sort d’une librairie de Brooklyn à l’encontre de Donald Trump et du juge conservateur Kavanaugh. Ce geste était, de surcroît, une réponse à la disculpation de ce dernier alors qu'il comparaissait pour agression sexuelle. Bien que pouvant paraître absurde, cette action se voulait davantage symbolique qu’effective : effrayer les anti-sorcières se révèle déjà une victoire, celle de mettre en exergue le ridicule du conservatisme qui use de formules insensées pour décridibiliser leurs antagonistes féminines.
Bertille Rochard
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