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Démocraties : et si le danger venait de l'intérieur ?

Les dernières élections de Donald Trump ou de Javier Milei interrogent sur l'avenir des démocraties libérales. Deux professeurs de Sciences Po Rennes nous livrent leur avis.
Alexis Buixan (Crédit photo : Alexis Buixan)
Viktor Orban, Javier Milei ou Donald Trump, dirigeants élus légalement dans leurs pays respectifs, attaquent un certain nombre de libertés fondamentales et constitutionnelles des démocraties. Cet illibéralisme menace le modèle démocratique libéral qui prévalait jusqu'alors. Faut-il pour autant y voir la mort de la démocratie ? Quels remparts peuvent la préserver ? Didier Mineur, Professeur des universités en philosophie politique et Alexis Buixan, Maître de conférences en droit public partagent leur réflexion.
LSV : Le modèle démocratique est-il en danger dans le monde ?
Didier Mineur : Suite à la première élection de Donald Trump en 2016, plusieurs universitaires ont mené des réflexions sur les dangers que courait la démocratie : D. Ziblatt et S. Lewitsky avec La mort des démocraties ou encore I. Krastev et S. Holmes avec Le moment illibéral. Le point commun de ces réflexions est que le danger qui menace aujourd’hui les démocraties, est un danger intérieur. Les procédures démocratiques se maintiennent avec des élections régulières, mais l'esprit de la démocratie est corrompu. La séparation des pouvoirs, en particulier, est mise à mal par toutes sortes de petites mesures prises au profit du pouvoir exécutif. L'État de droit se retrouve alors fragilisé. Ces universitaires pensent à la fois au devenir illibéral de démocraties solides, telle la démocratie américaine, mais aussi à un certain nombre de pays en Europe de l'Est comme la Hongrie avec Viktor Orban. Ce dernier revendique d’ailleurs l'expression de "démocratie illibérale" depuis qu'il a pris le pouvoir. Il existe aussi les régimes autoritaires qui ne sont pas ou n'ont jamais été des démocraties comme la Russie et la Chine. C'est la conjonction de ces différents régimes qui peut actuellement faire penser à une menace pour la démocratie dans le monde.
LSV : La démocratie française pourrait-elle être menacée ?
DM : Si l’on considère qu'il y a aujourd'hui dans la démocratie française des forces politiques populistes, peut-être aussi illibérales, alors oui il y a une menace. Il est tout à fait envisageable que ces forces politiques arrivent au pouvoir. Imaginer qu'un candidat du Rassemblement National remporte les élections présidentielles n'est plus aujourd'hui un scénario inenvisageable comme c'était le cas il y a quelques années. Si cela se produit, il y aurait sans doute des raisons d'être inquiet. On pourrait craindre des atteintes à l'Etat de droit, à la séparation des pouvoirs. On pourrait aussi redouter un scénario qui ressemble à ce qu'on a pu voir en Hongrie, où Viktor Orban a modifié la constitution quand il est arrivé au pouvoir et s’est assuré du contrôle des médias publics.
Mais il ne faut pas non plus aller trop vite dans le diagnostic de la mort de la démocratie. Que des illibéraux parviennent au pouvoir est une chose mais l'effondrement des institutions démocratiques en est une autre. Tant que l'alternance politique reste possible, la démocratie demeure. Ce fut notamment le cas de la Pologne en 2023. Une démocratie solide ne se laisse pas abattre par le résultat d'une seule élection. Aux États-Unis, l’alternance a bien eu lieu en 2020. Certes Donald Trump a contesté les résultats mais malgré tout, les institutions ont quand même prévalu. Néanmoins, il faudra voir en novembre 2028 s’il y aura une alternance politique. À ce moment-là on pourra juger ce que les années de trumpisme auront fait à la démocratie américaine, si les institutions et les procédures démocratiques se seront maintenues ou pas.
LSV : Un régime autoritaire ou illibéral pourrait-il voir le jour en France ?
Alexis Buixan : Dès lors qu’un parti n'est pas interdit, il peut concourir à une élection. Il n'y a pas de barrière juridique. C'est moins l'accès au pouvoir qui pose problème que la pratique du pouvoir. Les contre-pouvoirs peuvent venir naturellement par les urnes. Pour s’opposer à une candidature d’un courant idéologique autoritaire ou illibéral, à charge pour les électeurs de lui opposer une majorité qui fragiliserait ses ambitions.
Il existe par ailleurs des contre-pouvoirs strictement politiques. Depuis une révision constitutionnelle de 2008, les oppositions parlementaires ont davantage de prérogatives en termes de temps de parole ou de modalités de contrôle de l'action du gouvernement avec les commissions d'enquête, par exemple.
Il faut également penser aux contre-pouvoirs juridictionnels. Tout juge administratif ou judiciaire peut écarter l'application d’une loi si elle porte atteinte aux traités internationaux. Le Conseil Constitutionnel garantit également les droits et libertés protégés par la Constitution, il est habilité pour abroger des lois qui leur porteraient atteinte.
La Constitution elle-même pose des freins. L'article 16 qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République est fortement conditionné en termes de critères, à tel point que depuis le Général de Gaulle, aucun président n'a pu capter les pleins pouvoirs. La Cour de Justice de l'Union Européenne et la Cour Européenne des Droits de l’Homme peuvent aussi condamner la France si elle ne respecte pas le droit communautaire et les droits de l'homme.
Enfin, un autre rempart pour la démocratie française est la garantie des libertés d'expression et de la presse à un niveau constitutionnel.
LSV : A l'échelle européenne et internationale, existe-t-il des outils pour défendre la démocratie ?
AB : Pour appartenir à l'Union européenne, outre des considérations strictement économiques et de développement, il y a une exigence de démocratie libérale. En cas de dérives de certains États, l’Union européenne a peu de moyens d’agir et doit composer avec le choix souverain des peuples qui décident d’élire telle ou telle personnalité.
A l'échelle mondiale, chaque Etat est partie prenante d'organisations internationales et doit se conformer aux traités qu’il a signés, même s’il prend une voie politique autoritaire.
En cas de manquement, il s’expose à des sanctions financières, des suspensions de droit de vote.
Enfin deux juridictions internationales existent et peuvent agir si elles sont reconnues par les pays concernés : La Cour Internationale de Justice peut condamner des États et la Cour Pénale Internationale peut engager la responsabilité personnelle d'un dirigeant lorsqu'il commet des crimes de guerre, des génocides.
Raphaël Durand
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