Cartographier, c'est tout un métier !

Découvrez ce métier avec les réponses d'Annaïck Leclerc, infographe pour le journal Ouest-France, et de toute l'équipe des infographes du journal.
La carte au coeur des analyses (Crédit photo : Yiqing Qi et Erwann Le Chevalier)
Précision : Les mots web et print sont régulièrement utilisés ici pour parler des productions
Sur support numérique : site internet, EDS, réseaux sociaux (web)
Sur support papier : quotidien Ouest France, DOF (Dimanche Ouest-France), suppléments (print)
Pouvez-vous nous décrire votre métier ? en quoi consiste-t-il ? Le service infographie, créé au milieu des années 1990, a vu ses productions évoluer en même temps que les médias. La production, purement print au départ, s'est diversifiée pour exister sur internet depuis 2000.
Nous travaillons au siège du journal, à Chantepie [dans la banlieue de Rennes, ndlr], sur le plateau de la rédaction. Nos productions sont destinées à différents supports web et print (numérique et papier). Nous travaillons avec les rédacteurs en charge des pages informations générales (IG), fin de journal, régions, départements et locales des douze départements de la zone Ouest-France, le site internet et les autres supports numériques.
Neuf membres composent l'équipe, en deux entités : rédacteurs infographes (4 titulaires et 1 alternant) et data-journalistes (2 titulaires et 1 alternant) et un chef de service pour superviser les productions de ce collectif.
L'infographie de presse permet d'informer par des moyens graphiques. Elle rend l'information plus accessible car plus claire, plus rapide à lire et plus attrayante. Elle sert à localiser, montrer des mouvements, faire parler les chiffres, raconter, expliquer...
La datavisualisation permet d'exploiter des données brutes en grande quantité pour les rendre accessibles et compréhensible du grand public (30 % de cartographie et 70 % de graphiques).
Les infographes de l'équipe ont une formation plutôt graphique : école des métiers du livre, école de communication, école des Beaux-Arts. Ils sont devenus journalistes en cours de carrière. Les data journalistes sont journalistes de formation avec une acquisition des compétences data en formation continue (car les études disponibles dans ce domaine sont très récentes). La majorité de l'équipe a plus de 45 ans.
Comment restez-vous à jour avec les nouvelles technologies et techniques de cartographie ? L'équipe se forme aux nouveaux outils en permanence. Les outils web changent sans cesse. Certains disparaissent quelques mois après leur apparition. Les tendances évoluent vite également. Le motion design est de plus en plus présent dans nos productions et nécessite la compétence métier qui va avec.
Pour le print, l'équipe fabrique ses cartes avec l'outil Illustrator (pour faire du dessin vectoriel).
Depuis une quinzaine d'années, nous récupérons des cartes actualisées et disponibles en vectoriel, notamment sur OpenStreetMap. Mais l'arrivée des outils web a transformé nos habitudes. Pour les cartes simples, nous travaillons désormais avec Datawrapper (web) puis transfert dans un modèle print pour y être adapté au format souhaité. Les cartes plus complexes sont fabriquées sur Illustrator puis dupliquées via un script sur une version web (Ai2html).
Comment abordez-vous la création d'une carte pour un public ou un objectif spécifique ? Nous réalisons les cartes selon l'angle des articles, le format réservé dans le journal et le temps de travail disponible. Pour le print, la place disponible varie beaucoup, d'une colonne à six colonnes (maximum dans une page du journal papier). Le contenu de la carte dépend donc de ce format. Une petite carte de localisation contiendra des éléments essentiels (nom et découpage de département, préfecture, lieu de l'événement). Une carte des régions avec des données chiffrées ou une carte du front en Ukraine nécessiteront au minimum 3 colonnes pour rester lisibles.
Les cartes réalisées chaque jour sont liées à l'actualité. Nous avons donc les éléments pour les fabriquer le jour-même. Le temps de travail impacte le contenu car nous commençons parfois la carte à produire deux heures seulement avant le bouclage du journal papier. Pour le web, la production est à flux tendu, les cartes sont donc à produire au plus vite selon l'importance du sujet (par exemple, pour le séisme en Asie qui a eu lieu en Mars).
Pour des sujets de temps longs, le temps de travail consacré au contenu est plus confortable (par exemple des cartes pour expliquer le débarquement en Normandie).
Pouvez-vous décrire une situation où vous avez dû faire preuve de créativité pour résoudre un problème de cartographie ? La représentation d'un sujet peut-être radicalement différente en web et print. L'interactivité en web permet de proposer plusieurs niveaux de lecture alors qu'en print, toutes les infos doivent être lisibles sur un seul plan.
Ci-dessous deux exemples où les versions web et print sont différentes, et où les contraintes techniques ont imposé des choix graphiques.
Exemple 1 : pour le web, un moteur de recherche permet au lecteur d'arriver directement dans la zone géographique qui l'intéresse et d'y découvrir des données climats recueillis pendant plusieurs semaines auprès de Météo France et digérées par la data. Pour le print, une sélection de témoignages permet de pointer différentes situations au niveau national.
Exemple 2 : pour le web, un article décline l'évolution de la démocratie dans le monde via une chronologie avec graph dynamique. Pour le print, le planisphère n'aurait pas permis de rendre visibles les petits pays, le choix s'est porté sur un graph représentant les pays par population, avec un code couleur pour préciser s'il s'agit de démocraties ou non.
Comment hiérarchisez-vous et gérez-vous plusieurs projets de cartographie à la fois ? Pour le print, nous avons plusieurs cartes à faire tous les jours. Si nous manquons de temps pour répondre à toutes les demandes, nous faisons des choix éditoriaux. Les pages générales (Monde, France, Économie...) sont prioritaires puis les régions, départements et locales. Les refus sont possibles selon l'effectif disponible car nous travaillons 7 jours sur 7. Pour la data, une personne est dédiée à l'actu et une seconde travaille sur des sujets longs.
Pouvez-vous décrire un moment où vous avez dû travailler en collaboration avec d'autres sur un projet de cartographie ? A l'occasion du 80ème anniversaire du débarquement en Normandie, un rédacteur souhaitait suivre le cheminement d'une compagnie américaine pour un article web (qui permet des cartes dynamiques). Pour ce projet, la forme choisie est particulière : un article long format dans lequel on "scrolle" pour faire défiler le contenu texte et carto entremêlé. A partir de cartes historiques, il a fallu représenter l'avancée de cette compagnie. Pour faire exister cette forme, le trio était composé d'un rédacteur, d'un infographe et d'un développeur informatique.
Comment abordez-vous la sélection des sources de données appropriées pour un projet de cartographie ? Pour des sujets économiques et sociaux, les sources sont souvent gouvernementales et l'on part de documents excel ou carto déjà préparés par ces sources. On vérifie le contenu et on l'adapte à notre charte graphique. Pour des sujets internationaux ou conflits, on croise plusieurs sources de données dites sûres avec les agences de presse comme l'AFP ou Reuters et des sites spécialisés en données ouvertes.
Comment intégrez-vous les commentaires des clients ou des parties prenantes dans vos projets de cartographie ? Pour le print, on précise dès le début de nos échanges les contraintes que l'on va rencontrer : format, lisibilité, délai. Cette discussion permet de bien définir les contours du projet. Puis, après fabrication, on envoie un bon à tirer au demandeur. On recueille les éventuelles corrections puis le visuel part en mise en page. Pour le web, les data-journalistes gèrent les visuels et l'article-analyse qui y est associé. Ils sont relus par des journalistes du desk multimédia pour vérifier leur production avant la mise en ligne.
En quoi est ce que votre métier est important dans le journal, pour faciliter la compréhension des lecteurs ? La visualisation est plébiscitée par les lecteurs, web ou print. L'accès rapide et clair à l'information rend nos réalisations attractives. Les infographies sont là pour offrir une information claire et rapide, mais aussi pour attirer l'oeil du lecteur afin qu'il plonge dans la lecture des articles associés. Les enquêtes de la data permettent des décryptages sur des sujets techniques comme la pollution de l'eau, l'évolution du climat dans sa commune. Cela donne accès à des informations inaccessibles au grand public, avec des visualisations pédagogiques.

Un grand merci à Annaïck et à tout le service infographie de la rédaction Ouest France pour leurs réponses.
Adèle Poupin,
Hermine Charruau
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