Le border art ou la voix de la réunion

La symbolique séparatrice des murs est parfois renversée par des projets artistiques locaux, comme à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
Image de la frontière israélo-palestinienne avec une oeuvre de Bansky (Crédit photo : Bansky)
« Les murs frontaliers sont des lieux avec une forte charge symbolique ». C'est ce que confie Olivier Landes, spécialiste d'art urbain contemporain, au journal le Figaro en 2017, dans l'article "Frontières : et les murs deviennent (en fait) de l'art". Cet art des murs frontaliers, similaire au « street art » (art de rue) se nomme le border art.
Qu'est-ce que
le border art ?
Le border art (l'art-frontière) est un mouvement artistique et culturel issu de la ‘pop culture’ (culture populaire) ; il est en effet accessible à tous, et les artistes abordent au travers de leurs œuvres d'arts auditives et/ou visuelles des sujets actuels de différents domaines.
C’est à Berlin, en pleine guerre froide, que cette initiative apparaît : sur le mur, côté Berlin Ouest (RFA), des fresques en tout genre de nombreux artistes se mêlent aux messages tagués, réclamant la fin du conflit américano-soviétique. Désormais, des années après la chute du mur, à chaque frontière-barrière érigée, qu'elle soit de béton ou d'acier, les artistes n'hésitent pas à contester la fermeture d'un pays ou un conflit en participant au mouvement.
Deux frontières, deux ressentis L'un des exemples actuels emblématique du border art dans le monde est la frontière américano-mexicaine. Tout d'abord, cette frontière est une barrière, traversant tout le continent nord-américain depuis la côte Ouest jusqu'à la côte Est. Entamé en 2007, le projet de fortification et de mur frontalier fut mis en place sous le mandat de Donald Trump en 2016, pour être construit de 2017 jusqu'à 2021, afin d'empêcher notamment les flux migratoires illégaux. La barrière n'étant pas entretenue, Enrique Chiu, un artiste américano-mexicain, prit l'initiative de lancer la création d'une fresque au début de la construction sur cette frontière du côté mexicain pour son enjolivement. Faisant ainsi appel à plus de 2300 volontaires, cette fresque monumentale devint figure d'espoir, de réunification et de paix ; car la réalité derrière ces barres de métal, c'est aussi des familles séparées, et des personnes qui ont été déportées, ou le seront très prochainement.
Ainsi, le border art n’est donc pas seulement constitué de dessins ou de provocations satiriques, mais peut aussi porter des messages, des vœux. C’est le cœur de la population qui s’exprime sur cette barrière-frontière qui leur pose problème. La particularité de la communauté américano-mexicaine est que, même s'ils souhaitent bien évidemment la chute de ce mur, ils ont décidé de s'approprier la frontière, et de paradoxalement lui donner un sens de réunification, fraternité et solidarité, dans une volonté de défier le projet de frontière séparatrice de Donald Trump.
Un autre exemple connu de border art est celui présent à la frontière israélo-palestinienne avec le projet "Santa's Ghetto" en Juillet 2005. Ce projet, initié par le célèbre graffeur Banksy, consistait en la décoration du mur de Gaza (en Cisjordanie) avec la création de plusieurs fresques sur celui-ci. L’objectif de l’artiste était notamment de protester contre l’existence de ce mur qui fut dressé illégalement, mais plus largement, de mettre en lumière le conflit israélo-palestinien. Ainsi, c’est encore une fois par le biais du border art qu’un message est transmis au monde, et qu’un artiste fait entendre la voix de nombreux habitants. Cependant, contrairement aux Mexicains, les Palestiniens ne voient pas l'intérêt « d'embellir le mur ». Comme le dit alors un vieil homme palestinien à Banksy en 2005 : « [son peuple] ne veut pas que ce mur symbole de haine soit beau, [il] ne veut pas de ce mur du tout ».
Ces deux cas représentent une cause qui est toujours d'actualité : le désir d'ouverture et de réunion. C'est la raison première de la naissance de ce mouvement au coeur d'une Allemagne déchirée. La frontière américano-mexicaine démontre l'aspect central de ce phénomène artistique, qui, même s'il peut ne pas toucher tous les cœurs, marque les esprits, et devient un outil pour ceux qui souhaitent faire bouger les choses, tisser des liens et briser les murs. Encore aujourd'hui, poussés par l'espoir de réunir les deux communautés et encouragés par la décision de Joe Biden de suspendre la fortification de la frontière, les populations locales des deux pays séparés et Enrique Chiu continuent de laisser leur trace sur le mur, grâce à leurs pinceaux.
Lorette BERTHELOT
et Rhode NIYOKWIZERA
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