Passer une frontière en temps de guerre

D'une frontière à l'autre, le passage peut se montrer périlleux avec le danger et la souffrance : le témoignage de So Serey Vuthy.
So Serey Vuthy (Crédit photo : Louane Noyer)
So Serey Vuthy est un homme cambodgien né en 1968. Enfant, il vit avec ses parents et ses cinq frères et soeurs à Svay Rieng au Cambodge. À cette époque de fortes tensions, le pays est sous la direction d’un régime politique extrémiste, dirigé par Pol Pot. A la tête de ce régime, les Khmers rouges envahissent la ville de Svay Rieng, avec pour objectif d’exécuter les personnes instruites par peur que celles-ci, grâce à leur savoir, entraînent la rébellion du peuple.
Une famille en danger Le père de Vuthy est alors instituteur, et donc l’une des principales cibles du régime. Il est contraint de changer de ville dès que les Khmers rouges progressent. Mais rapidement, sa situation devient trop dangereuse pour sa survie. « Mon père se sentait menacé. Un jour, il ne se sentait pas bien et est parti. Il est rentré vers 18h après le travail. Il a dit à ma mère : "Je m’en vais, je ne sais pas si je vais survivre ou pas". Quelques heures après, effectivement, les Khmers rouges arrivent dans la maison à la recherche de l’instituteur, mais heureusement celui-ci est déjà parti.
Un changement de conditions de vie La famille s’est ensuite installée dans la ville de Siem Reap, et les enfants doivent travailler pour avoir assez d’argent. À sept ans, Vuthy travaille dans une rizière à Samraong, à plusieurs kilomètres de chez sa mère. Il explique : « Je ne pouvais voir ma mère qu'une fois par an ». Un jour, il sort pour la rejoindre, en traversant des champs et rivières, même s'il ne sait pas nager : « J'ai appris à nager comme ça. Au milieu des ossements et des corps qui flottaient dedans ». Il se souvient de s'accrocher à sa mère en pleurant, alors qu'on le tire pour qu'il retourne à Samraong.
Traverser une frontière en temps de guerre La famille décide par la suite de quitter le Cambodge pour se rendre à pied en Thaïlande, à 60 km de là. Mais c'est loin d'être facile, car le chemin est rempli de pièges. Les Khmers rouges y ont creusé des gouffres recouverts de feuillages avec des piques dessous, et enterré des mines qui explosent dès que l’on y pose le pied. Les champs et forêts sont couverts de cadavres. « Pendant le trajet, à 200 ou 300 mètres, on entend les bruits d’une mine qui explose. Et après, quand on arrive, on voit les gens blessés ou décédés. Au niveau de la frontière, il y avait beaucoup de morts par terre qui n’étaient pas ramassés après les tirs des soldats, c’était atroce. »
Arrivée en Thaïlande La famille reste une semaine à la frontière avant de pouvoir passer en Thaïlande.« Toutes les deux trois nuits, il y a les bombardements des Khmers rouges dans les camps. Ça dure une heure, et à la fin il y a des cris, des pleurs, parce qu’il y en a qui sont décédés, qui sont blessés. Il y a des incendies par-ci par-là. C’était l’horreur. »
La famille est ensuite recueillie dans un camp pour migrants non loin de la frontière. Là-bas, la mère de famille va chercher des vivres et découvre des avis de recherche de familles. Sur l'un d'entre eux, elle reconnaît la photo de son conjoint. Elle apprend alors qu’il est bien en vie, et parti en France parce qu’il connaissait la langue. A la suite de plusieurs lettres échangées, le père envoie à sa famille tous les papiers nécessaires pour qu’ils puissent tous se rendre à Bangkok pour prendre l’avion vers la France.
Retrouvailles et nouvelle vie Vuthy arrive à l’âge de 11 ans en France. Le lendemain, son père vient les retrouver. « On a atterri et le lendemain il est venu nous voir. Il avait hâte de nous rencontrer. Ça faisait plus de cinq ans qu’on ne s’était pas vus. Un an après son départ, le dernier de la famille est décédé de famine. Quand on est arrivé, il a dit : "où il est le dernier ?" Et il a pleuré lorsque ma mère lui a dit qu’il était mort. » La famille part alors à Limoges, dans un foyer où se trouvaient d’autres immigrés, dans l’attente de trouver une situation stable. Pour Vuthy, c’est un changement radical, un endroit où il retrouve un confort et une sécurité qu'il n'avait pas chez lui : « C’était un réel luxe d’être de nouveau réunis, même dans un foyer ». Finalement installé à Tours, So Serey Vuthy a pu faire des études et fonder une famille. Il est aujourd'hui père de 3 enfants.
Louane N., Clément T.,
Axel M. et Tina D.
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