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Le premier journal entièrement géré par des femmes dalits en Inde

Le journal Khabar Lahariya : nouvel espoir des populations opprimées du système indien.
Geeta Devi (d), journaliste de \
L'Inde, pays inégalitaire et sexiste Vous le savez certainement, avec plus de 6000 castes, l'Inde est un des pays les plus inégalitaires au monde. Pourtant, la constitution indienne assure l’égalité de tous ses citoyens mais les classes dominantes craignent l’égalité et veulent « entretenir la peur et le pouvoir ». Les populations sont qualifiées de « pures » ou d’« impures » selon leur appartenance à une caste et dès lors, leur vie est toute tracée. Les populations « hors castes » se trouvent exclues de la société, ont rarement accès à l’éducation, aux soins ou aux services de bases et sont contraintes d’effectuer les tâches les plus humiliantes qui soient. Il n’est pas rare que les dalits, considérés comme hors castes, soient victimes d’agressions, de viols, d’assassinats... Pourtant la justice leur est rarement rendue.

L’Inde exploite une partie de sa population. Les hommes en souffrent mais les femmes, elles, subissent une « double peine ». Une femme indienne représente un véritable fardeau financier pour sa famille. Lorsqu’elle se marie, sa famille doit fournir une dot élevée à la famille du mari. Si la dot n’est pas assez élevée, la belle famille a le droit de la torturer, voire de la tuer. La « pratique de la dot » aurait tué 8233 femmes en Inde en 2012. C’est en partie pour cela qu’il devient rare d’assister à la naissance d’une petite fille en Inde, l’infanticide et les avortements illégaux étant très nombreux. De plus, le viol très répandu est peu puni par la loi.
Naissance et engagements de Kahbar Lahariya C'est pour lutter contre ce système injuste que naissent plusieurs organismes de défense des populations opprimées d'Inde. Créé en 2002, Khabar Lahariya ou « Vagues d’informations » est le seul journal en Inde entièrement écrit, illustré et publié par des femmes. La plupart d'entre elles sont issues de communautés marginalisées, dalits, tribales et musulmanes dans l’État d’Uttar Pradesh au Nord de l’Inde. A l'intérieur, y sont abordés les violences commises envers les femmes, la mise à l'écart de populations, les meurtres ou injustices non poursuivis ou encore, les manigances du gouvernement, de la police et de la mafia, qui ont tendance à profiter du système inégalitaire.

En 2021 un film documentaire Writing With Fire est réalisé par le couple indien Rintu Thomas et Sushmit Ghosh pour raconter leur quotidien. Il se veut aussi un hommage à ces femmes journalistes. Au début du film, Meera Devi, rédactrice en chef du journal, se rend à Banda recueillir le témoignage d'une femme dalit, violée à maintes reprises par un groupe d'hommes. La victime et son mari ont déposé plusieurs fois des plaintes auprès de la police mais celle-ci refuse de les enregistrer. La mari de la victime confie : « Khabar Lahariya est notre seul espoir, nous n'avons confiance en personne à part vous. » Meera se rend ensuite auprès d'un jeune homme mineur qui travaille dans les mines illégales ouvertes par la mafia du pays. Il raconte que son frère a été tué à coup de pierre pour s'être opposé à l'exploitation illégale des travailleurs. Suneeta, qui travaillait dans ces mines tous les jours quand elle était petite, confie : « La mafia est de plus en plus puissante et personne n'ose dénoncer ce qu'il se passe » Aujourd'hui, elle est journaliste à Khabar Lahariya, heureuse que son métier lui permette de : « lutter pour la justice ».

Meera confie : « Pour moi, le journalisme, c'est l'essence de la démocratie. Quand les citoyens réclament leurs droits, c'est à nous de transmettre leur demande au gouvernement. » Son combat, Meera le voit aussi comme un « défi personnel ». Elle-même intouchable, elle a dû se battre à contrecourant pour réussir des études et travailler maintenant au service des opprimés.

Les journalistes ne font pas que recueillir les témoignages des victimes : elles font aussi pression sur la police pour que celle-ci agisse au plus vite. Le journal s'investit politiquement aussi. Ces dernières années, la montée de l'hindouisme, avec le parti BJP "parti indien du peuple", entretient un climat de peur dans la population tandis que la femme indienne se retrouve complètement soumise aux hommes. Meera s'inquiète : « Où sont les vraies informations ? Les journaux ne parlent que de religion. Nous devons rester un organe de presse différent des autres. »

Souvent, la communauté du journal se réunit afin de faire le compte de leurs articles et organiser leurs prochaines actions. C'est aussi l'occasion de former celles qui souhaitent devenir journalistes et de proposer cours d'informatique, d'alphabétisation, d'anglais. L'équipe est très soudée et parfaitement organisée. Des femmes vont sur le terrain et mettent en valeur, à l'aide d'images, de témoignages et de vidéos, les populations muettes du système indien. Ensuite, ce sont d'autres journalistes qui réalisent les montages et publient les informations via les réseaux sociaux. On ne peut que remarquer l'amitié inébranlable qui unit ces femmes les unes aux autres.

Ce métier reste cependant compliqué. Comme le dit Meera : « En Inde, une femme dalit journaliste, c'est impensable » et il est rare qu'une femme ait une famille qui accepte ce métier. « Mon travail m'expose aux plus grands risques » confie Suneeta. En effet, les journalistes et leurs familles sont souvent menacés. Depuis 2014, on compte 40 journalistes tués en Inde.
Quel avenir pour le journal ? Au début, personne ne donnait cher de la survie de Khabar Lahariya. Pourtant, voilà 14 ans qu'il donne une voix à ceux qui n'en ont pas. Aujourd'hui, le journal a une chaîne YouTube qui a dépassé les 150 millions de vues et est présent sur tous les réseaux. Les actions du journal sont extrêmement prometteuses et permettent de réels changements rapides. Le journal, de plus en plus suivi, est devenu un véritable espoir pour les opprimés, les femmes et la démocratie.
Aline LE COMPAGNON T02
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