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La déontologie n’est pas un vain mot

Dans un contexte de dramatisation de l'actualité, de confiance limitée entre le public et les médias, la déontologie est parfois mise à mal. Pour y faire face, plusieurs instances ou organismes (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, médiateurs de presse...) appellent régulièrement l'attention sur toutes ces questions. Ancien professionnel de la presse, Yves Agnès (1) apporte un éclairage sur les questions relatives à la déontologie de la presse.

(1) Journaliste retraité, Yves Agnès a été chef de rédaction à Ouest France, rédacteur en chef au Monde, directeur général du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). Enseignant et consultant, spécialiste des questions d'éducation. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme et les médias, notamment Manuel de journalisme (La Découverte, 2002 et 2008). Il préside depuis sa création en 2006, l'Association pour la Préfiguration d'un Conseil de presse (APCP). Ses propos ont été tenus lors d’une conférence donnée à l’Université de Nantes.

Qu’est-ce que la déontologie ?

C’est l’ensemble des règles éthiques que se donnent des professionnels pour l’exercice quotidien de leur métier. Dans le domaine du journalisme, ces règles sont particulièrement importantes car les journalistes s’adressent à des publics. S’il n’y a pas de règles ou qu’elles sont mal appliquées, le public est trompé et perd confiance dans les médias.

La déontologie de l’information concerne uniquement les faits, pas les commentaires. Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres. La déontologie ne concerne pas non plus la ligne éditoriale du média.

 

Les principales règles déontologiques

  • Respecter l’exactitude et la véracité des faits
  • Respecter les personnes dont on parle
  • Garder ses distances avec les sources
  • Ne pas céder à la corruption (petits et gros cadeaux sont à proscrire)
  • Cultiver l’équité et solliciter des avis contraires
  • Eviter le conflit d’intérêt : on ne peut être juge et partie
  • Bannir le plagiat (la copie).

 

La déontologie à travers les siècles

La déontologie apparaît en 1631 avec la Gazette, premier journal français. Un an plus tard, Théophraste Renaudot, son fondateur, invente le droit de réponse pour ceux qui ne sont pas d’accord. La Gazette était tout de même le journal de la cour, de Louis XIII et Richelieu. Il y aurait comme un conflit d’intérêt, non ?

Au fil du temps, et en l’absence de charte, les règles de déontologie sont régulièrement bafouées. Même Albert Londres, qui a laissé son nom à un prix de la presse, était peut-être le prince des reporters, mais pas celui de la déontologie. « Il lui est arrivé de faire un reportage pour un journal et se faire payer par le ministère de la justice », raconte Yves Agnès.

En 1918, le syndicat des journalistes met en avant la déontologie comme discipline professionnelle. En 1935, le statut des journalistes est défini avec la création de la carte de presse. En 1943, le Conseil de la Résistance envisage une cour d’honneur de la presse pour moraliser la profession.

 

La guerre moralise

Trois ou quatre décennies d’après-guerre : la déontologie connaît une embellie. Avec des journalistes de talent comme Albert Camus à Combat, Hubert Beuve-Méry au Monde et plusieurs autres grandes figures de la presse écrite, les rédactions sont imprégnées par les idées de travail bien fait, de probité, de compagnonnage efficace.

 

1980 : les années chamboul’tout

En 1981 survient la libéralisation des ondes et de l’audiovisuel avec l’apparition des chaînes privées (Canal +, TF1). C’est aussi la naissance des services de communication présents dans les entreprises et administrations. Depuis de Gaulle, on était sur l’idée que l’information n’est pas une marchandise comme les autres : elle s’adresse à l’intelligente, à l’esprit humain. Elle mérite donc un statut spécial, des aides spéciales. En 1986, on passe dans une logique libérale.

 

Dérapages incontrôlés

Durant les années quatre-vingt, on observe du relâchement dans la déontologie. Avec l’affaire Grégory, en 1984, des journalistes s’illustrent de manière odieuse avec des incitations à l’assassinat, des prises de position répétées. On assiste à des vols de documents, des micros cachés… En 1989, l’affaire des faux charniers de Timisoara (Roumanie), ne redore pas le blason de la presse. En 1991, la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor non plus. Puis vient l’affaire d’Outreau, qui dure de 1997 à 2015. Elle a eu l’avantage de déclencher la création d’une commission parlementaire qui s’est penchée sur la question...

 

Toujours pas de charte déontologique

Chaque année, un sondage réalisé par le journal La Croix mesure la popularité et la crédibilité des journalistes. En 2014, seulement 23% des lecteurs avaient une bonne opinion des médias. C’est un peu mieux en 2015 avec un bon traitement des attentats de Paris. Depuis une dizaine d’années, il y a une prise de conscience avec deux initiatives intéressantes : la création d’un conseil des journalistes et la charte de la qualité de l’information.

 

Des avancées…

Depuis 2006, la presse est perturbée par l’arrivée d’Internet. Les Etats généraux de la presse écrite ont pour objectif d’y voir plus clair et de reconquérir la confiance des lecteurs. Mais toujours pas de charte, ni d’instance.

En 2012, création d’un observatoire de la déontologie avec les objectifs de faire de la pédagogie, d’observer et de rédiger des rapports. On constate des avancées avec l’adhésion de 3 syndicats de journalistes sur 7, l’approbation des pouvoirs publics, le conditionnement des aides de l’Etat.

 

… Et des freins

Certains quotidiens et magazines sont réticents. La faiblesse de certaines hiérarchies sont loin de promouvoir la qualité de l’information et tirent plutôt l’information vers le bas. Ils cherchent le buzz, le clinquant, l’audience plutôt que la confiance des lecteurs.


(1) Journaliste retraité, Yves Agnès a été chef de rédaction à Ouest France, rédacteur en chef au Monde, directeur général du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). Enseignant et consultant, spécialiste des questions d'éducation. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme et les médias, notamment Manuel de journalisme (La Découverte, 2002 et 2008). Il préside depuis sa création en 2006, l'Association pour la Préfiguration d'un Conseil de presse (APCP). Ses propos ont été tenus lors d’une conférence donnée à l’Université de Nantes.

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